Le paradoxe du crime


La douloureuse affaire criminelle d’Estelle Mouzin, petite fille de 9 ans disparue le 9 janvier 2003 et qui depuis, et malgré des moyens considérables mis en place par la Gendarmerie Nationale, était restée mystérieuse serait donc, enfin et peut-être, résolue et ce, grâce à des témoignages inattendus. Aujourd’hui, il semble bien que l’auteur de l’enlèvement et du meurtre de l’enfant soit Michel Fourniret, ce tueur en série qui a déjà avoué une dizaine de crimes, un nombre de victimes qui serait, selon les enquêteurs, bien plus important que ce que « l’ogre des Ardennes » aurait reconnu. Ce dossier judiciaire ouvert depuis 17 ans n’a cessé de faire, régulièrement, la « une » de la presse et soulevé, avec passion certes, l’indignation citoyenne mais aussi, d’une certaine façon, alimenté la curiosité populaire au point où -par exemple- les livres parus sur cette affaire sont des succès de librairie. Il suffit d’examiner l’Histoire, de revisiter le passé pour constater que le crime -et même des plus infâmes- mobilise, pour ne pas dire fascine, les esprits les plus raisonnables. Pour ne citer que quelques références de ce domaine, souvenons-nous de Joseph Vacher (1869-1898) le tueur de bergers (une cinquantaine de victimes estimée) qui a, lors de son procès, déclenché un débat national sans précédent sur « la responsabilité pénale » ; Souvenons-nous de Henri-Désiré Landru (1869-1922), le tueur de Gambay accusé d’avoir brûlé, dans sa cuisinière, plusieurs de ses victimes et qui a non seulement déclenché, malgré lui, des polémiques politiques mais aussi mobilisé les foules et attiré, à l’époque de sa comparution à Versailles devant la cour d’assises, les personnalités parisiennes les plus célèbres de France (Colette, Joséphine Baker, Maurice Chevalier etc.). Souvenons-nous et ce n’est pas si loin de Jacques Mesrine (1936-1979), l’ex-ennemi public n° 1 qui a été, par un sondage et au temps de ses activités criminelles, élu par les Français et pour le compte d’un grand hebdomadaire, « L’homme de l’année » ; un titre partagé d’ailleurs et par le même journal -quel paradoxe ! – avec Pierre Ottavioli, ancien patron de la brigade criminelle du Quai des Orfèvres : Souvenons-nous encore du crime du « petit Grégory » (1980-1984), un gamin de quatre ans assassiné et jeté dans la rivière Vologne dont, à ce jour, et malgré une enquête judiciaire qui dure depuis 35 ans, on ignore toujours le nom de l’auteur (ou les auteurs) des faits qui n’ont jamais été identifiés. Or, après tout ce temps, l’affaire Grégory et ses rebondissements passionnent toujours le grand public. Elle fait d’ailleurs depuis quelques jours l’objet d’un excellent documentaire de cinq heures diffusé dans 150 pays via la plate-forme Netflix. Une série qui connaît un succès considérable. Et l’on pourrait citer encore, pour dire cette étrange attirance que nous avons presque tous, pour la chose criminelle : Bonny and Clyde, Charles Manson, Émile Louis, Françis Heaulme, Guy Georges et bien d’autres qui ont, eux aussi, aiguisé la curiosité populaire. C’est paradoxal ! En effet, comment pouvons-nous être émuS par les victimes de ces crimes, révulsés et en colère contre de tels actes dont certains frisent l’abomination et être pourtant « happéS » par les criminels et leur histoire respective ? Au-delà, de la recherche d’explication rationnelle face à cette situation qui nous conduit, simplement, à nous interroger sur le « pourquoi et comment » de tel ou tel assassinat afin d’en comprendre les mécanismes, de pouvoir éventuellement s’en protéger, etc. La question initiale que nous nous sommes tous posée, au moins une fois, a bien d’autres réponses. Elles sont données par des savants de disciplines différentes qui œuvrent, depuis fort longtemps, dans les sciences humaines et sociales. Tous ces chercheurs étudient nos comportements et dissèquent les divers éléments nécessaires, obligatoires même, au bon équilibre de « l’être individuel et membre d’une collectivité » que nous deviendrons en vieillissant. Leurs conclusions sont étonnantes ! La peur, la frayeur aussi, sans omettre l’attirance pour le morbide, sont, selon ces groupes d’études formés de psychologues, de linguistes, d’économistes, de spécialistes de l’éducation, de la pédagogie, de la didactique, de sociologues, de géographes sociaux et économiques, d’historiens de l’art et de l’archéologie, de la littérature, de théologiens et de philosophes, « absolument nécessaires » à la construction de notre personnalité. Pour les savants il n’y a aucun doute : « la curiosité pour le crime et/ou le morbide permet à l’humain d’aller à la recherche d’une émotion, d’une peur, qui donne conscience que notre vie à nous n’est pas en jeu », d’autres chercheurs (sic) arrivent aux mêmes conclusions puisque, selon eux, « avoir sous les yeux la triste preuve de l’extrême fragilité de l’existence rend soudain exaltant le sentiment d’être encore en vie ». Quant à notre attrait pour le « macabre », il est ou serait « une compulsion envers les événements sinistres qui nous apprennent et nous aident à contrôler nos peurs ». Le phénomène est connu dans le milieu médical puisque ce sont des raisons qui poussent certains pédopsychiatres à conseiller aux parents de lire à leurs enfants des contes un peu effrayants comme « Le petit chaperon rouge » ou « Barbe bleue ». Nous pouvons donc mieux comprendre que ce goût pour le crime (et ses mystères) soit souvent le Graal des écrivains dont les plus connus (Balzac pour une « Ténébreuse affaire »), compte tenu qu’il porte, d’après Roland Barthes (Essais critiques – sur le fait divers) « sur des problèmes fondamentaux, permanents et universels : la vie, la mort, l’amour, la haine, la nature humaine » et que, par conséquent, le crime « nous renvoie à nous-mêmes ».