Plastiquement vôtre


Avec le flot d’élections qui se profilent, la politique est notre dada en ce moment dans votre journal ; un sujet « kiffant » comme s’époumoneraient les moins âgés, bien que nous n’affectionnons pas particulièrement cette expression “d’jeun”. Nous préférerons « empoignant ». Thème capiteux, pas pour tout le monde, il l’est pour nous en tout cas. Mais passée l’euphorie politiquement grisante, revenons à nos considérations matures : justement, hormis les déplacements à la (et/ou de) campagne, où sont les politiques sur des enjeux aussi avivants que l’environnement ? Il n’y a pas une semaine où des confrères évoquent ici une baleine retrouvée échouée aux Philippines, l’estomac saturé de kilos plastifiés indigestes, là une tortue marine aux Maldives à l’une des nageoires lacérées par un item à usage humain. Si chacun est capable de se mobiliser lorsqu’un monument patrimonial, telle la cathédrale Notre-Dame de Paris, brûle, pourquoi serait-il inconcevable de s’émouvoir devant le funeste sort d’un cétacé, patrimoine de biodiversité ? Nous entendons déjà les serinements des pragmatiques montant au quart de tour au créneau discordant, hurlant à l’envi que « le réchauffement climatique et la pollution, ce sont des conneries », d’aucuns songeant encore au retour du complot, et caetera. Que des animaux ? Non, loin d’être des meubles et de surcroît, des êtres vivants. Comme vous et moi. De chair et de sang, sensibles à la douleur. Comme vous et moi. Et pour notre part, nous choisirons les moutons, les vrais dans le pré, au lieu de ceux générés en ligne par les réseaux sociaux… Disgression mais reprenons le chemin de notre pensée. Aussi, en France, de gigantesques quantités de microplastiques (365 particules de microplastique par m2 et par jour, dans les pluies et les neiges) auraient été repérées par des chercheurs dans les Pyrénées ariégeoises, à 1 425 m d’altitude, et le comble, dans une zone Natura 2000 ! Cherchez l’erreur. Egalement, les conclusions étayées, issues d’un rapport daté du mois de mars 2019 émis par l’ONG WWF, intitulé « pollution plastique : à qui la faute ? », sont sans appel. Il y est notamment explicité que « le plastique n’est pas mauvais en soi ; il s’agit d’une invention créée par l’homme, source d’importants avantages pour la société. Malheureusement, la façon dont les industries et les gouvernements ont géré le plastique et la manière dont la société l’a converti en une commodité jetable à usage unique ont transformé cette innovation en un désastre environnemental à l’échelle planétaire. (…) Alors que ce problème ne date que de quelques décennies, plus de 75 % de l’ensemble du plastique ayant déjà été produit est aujourd’hui un déchet. (…) L’approche globale actuelle face à la crise du plastique est un échec. » Il est de fait possible de discourir à propos des taxes dont chaque quidam s’acquitte, pour les ordures ménagères et autres joyeusetés à la morale surtout culpabilisante et punitive. Paroles d’évangile, dans la veine « faites ce que je dis, mais moi, fichtre, jamais ! » L’étude du WWF le confirme par cette poignée précise de lignes. « Actuellement, seuls 20 % des déchets plastiques sont collectés pour être recyclés. En Europe, près de la moitié des matières collectées sont perdues lors du recyclage, et une grande partie du plastique collecté pour le recyclage ne peut être recyclé pour des raisons de santé, de sécurité, de qualité et de contamination. En outre, la plupart des matières plastiques secondaires créées à partir de plastique recyclé sont de qualité inférieure au plastique vierge et sont donc commercialisées à un prix inférieur. (…) L’absence de réponse systémique efficace – aux niveaux national et international – entrave les progrès, menace la croissance économique durable et a des conséquences directes sur l’environnement, les espèces et les populations. Tandis que la trajectoire actuelle de la croissance du plastique montre que la crise s’aggrave, nous pouvons changer cela à l’aide d’une approche unique adoptée dans tous les secteurs : la responsabilité.» En guise de lumière au bout du tunnel toxique, ledit rapport harangue une mobilisation « responsable » collective (gouvernements, industries et grand public) et argue en sus d’un scénario « zéro plastique dans la nature » à l’horizon 2030. En attendant, le carnage polluant perdure : depuis l’an 2000, l’industrie du plastique a produit autant de plastique que toutes les années précédentes combinées. Les chiffres égrenés parlent d’eux-mêmes : 310 millions de tonnes de déchets plastiques ont été générées en 2016 ; 100 millions de tonnes de plastique ont fini dans la nature, toujours en 2016; 41% d’augmentation de déchets plastiques et 50% d’augmentation de CO2 du côté de la chaîne de valeur du plastique en 2030 si rien n’est fait. L’incinération n’est pas non plus la panacée, car quid de la qualité de l’air et des gaz à effet de serre ? Le serpent qui se mord la queue en somme. Même, il y a un loup ! Selon la formule latine consacrée, « Homo humini lupus est ». C’est-à-dire « L’homme est un loup pour l‘homme ». La prose bien sentie de jadis du philosophe anglais Thomas Hobbes, que nous aimons répéter, sonne désespérément d’actualité à notre époque. Le rubicon est par malheur franchi, à en juger la criminalité récurrente des dépôts sauvages, en forêt, de Vierzon, de Blois et d’ailleurs. Alors, (br)exit la politique de l’autruche. En vue des scrutins à venir, notamment celui euro-teinté du mois de mai qui approche, il serait grand temps que les hommes (et femmes) au pouvoir s’injectent autre chose que du glyphosate dans le têtiot, tel que l’asséneraient les Solognots, hein… Plutôt que de s’adonner à enfouir nos têtes dans le sable, peut-être devrions-nous nous plonger les cerveaux dans l’iceberg de plastique qui menace. Le directeur général de WWF, Pascal Canfin, vient de rejoindre la liste LREM pour les élections européennes, adonques l’espoir fait vivre. « Dans toutes les larmes s’attarde un espoir » dixit la féministe Simone de Beauvoir que nous citons volontiers. À deux reprises. « Le plus grand fléau de l’humanité n’est pas l’ignorance, mais le refus de savoir ». Finalement, écouter Plastic… Bertrand ferait moins de mal. Quoique.

Émilie Rencien