Quand la femme demeure aux fourneaux


L’information passera sans doute, non pas inaperçue, mais elle sera surêment noyée sous le flot d’affaires récentes, pas très rock’n’roll mais savoureuses pour les avides de voyeurisme, de drogues, de “3-MMC” et « chemsex », sous des vocables qui ouvrent une porte sur un univers obscur que nous découvrons avec une stupeur innocente, bien qu’adulte. Elle sera également possiblement raccourcie dans son propos, calée entre deux longs discours d’experts riches d’expertises aimant décortiquer pendant des heures les conséquences de l’inflation et du manque de précipitations en France. Une actualité en chasse de plus en plus une seconde, puis une troisième, et ainsi de suite, à un rythme effréné, au milieu duquel se glissera la date du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. À l’instar de la célébration du couple et l’amour à Saint-Valentin, ou la fête des grands-mères, pourquoi est-il encore nécessaire de réserver un jour dédié ? Avec le phénomène viral #Metoo, enfin, la parole a été libérée. Certes. Peut-être est-ce l’effet cumulé pandémie-confinements, auquel il est possible d’ajouter la cuisine anxiogène d’après, entre crise sociale, conflit international aux portes de l’Europe et difficultés économiques, qui règne en maître depuis, mais les violences de rue et les AVIP, c’est-à-dire les atteintes volontaires à l’intégrité physique dans un jargon préfectoral, ont en concomitance fortement augmenté. Plus de 12% en moyenne en France en 2022 sur un an; +15% dans le Vaucluse, ou encore +17% dans l’Aude, un+ aussi en Loir-et-Cher, et les exemples des départements peuvent s’énoncer à l’envi, avec pour point de comparaison 2021, voire 2019. Partout, ou quasiment (la principauté de Monaco se signalerait un peu en-dessous), le niveau d’avant-Covid est indiqué retrouvé, voire parfois dépassé. Parmi ces violences, la hausse concerne également celles faites aux femmes. Les femmes se confient davantage mais hésitent encore à porter plainte (et quand elles se décident, faut-il que leurs griefs soient reçus et pris au sérieux…). Une poignée d’esprits chafouins, pratiquant la politique de l’autruche, rétorqueront que c’est à l‘image des accidents de chasse; la médiatisation donne une fausse impression d’accroissement et de multiplication. Certes. Alors, convient-il de lâcher prise; le monde est-il voué à l’hégémonie sexuée, particulièrement masculine, et c’est ainsi ? Le sexe fort ne sachant plus sur quel pied danser ni comment se comporter avec la gent féminine (certes), et la madeleine de Proust rassurant assurément, certaines influenceuses conservatrices semblent répondre par l’affirmative, puisqu’elles plongent carrément l’auditoire dans un monde parallèle, aux antipodes de #BalanceTon, en reprenant le registre de codes genrés, en lançant un nouveau mouvement, baptisé “TradWife”. Comprenez le retour de la femme traditionnelle empruntée aux années cinquante, au foyer, sans emploi. Soumise à son compagnon ou à son mari ,et ici, cela n’a rien à voir avec une quelconque pratique ludique et sexuelle. Les “desperate housewives” confirment leur sympathie à côté ! Drôle de société, riche en contrastes et contradictions ! Le propre de l’être humain, certes. Mais il ne faut pas en profiter pour pousser mémé dans les orties, pendant que pépé garde ses fourneaux. Ces “TradWifes”, en simultanéité là aussi, font quasiment figure d’antithèse face à d’autres néo-tendances qui émergent cet hiver 2023, particulièrement notables chez les starlettes outre-Atlantique, même si cela finira par gagner notre Hexagone, pour le moment occupé par le retour discutable de la cagoule, réanimant avec des souvenirs d’enfance désagréables qui grattent. Celles-ci, pour leur part, impriment une forme de diktat de pensée à contre-courant consistant à se faire retirer le gras de l’intérieur des joues pour un visage affiné et creusé, et à adopter le “Y2K” (pour “Year 2K”), un courant de mode qui remet sur le devant de la scène le parfum des années 2000 aux effluves d’ultra-minceur et de côtes saillantes. Madonna, dans cette foulée, peut “Like a virgin”, crier haro sur le baudet du patriarcat pour détourner l’attention de son apparence physique qui semble laisser transparaître un abus de chirurgie esthétique dans une quête de jouvence et jeunesse éternelle. Une espèce de “Tradwife” à la sauce hollywoodienne, c’est-à-dire soumise à la pression sociétale sans l’assumer. Nous sommes loin de la libération du corps de la femme des années Bardot. Et finalement, tout cela en vérité s’avère bien futile, lorsqu’on s’arrête un instant pour songer aux féminicides, aux femmes coupées en morceaux par leurs maris à Paris, aux femmes qui subissent la violence des mots causant autant de ravage que les coups, à ces jeunes collégiennes empoissonnées au gaz en Iran, et X faits qui interrogent sur la sempiternelle place accordée aux femmes, bien plus graves que de savoir si cette silhouette féminine rentrera dans un crop top ultra moulant ou dans un tablier à carreaux proprets. Inexorablement, l’homme continue sa cuisine pendant ce temps. Dans cette assiette de société qui ne sait plus vraiment où elle abrite sa porcelaine, les blondes ne sont pas toutes de faibles truffes. Et méritent plus d’attention qu’une seule journée annuelle cochée, pour se donner bonne conscience, sur le calendrier, chaque 8 mars.

Émilie Rencien