Sangliers : faut-il passer en mode destruction ?


Comme partout ailleurs, les sangliers en Sologne sont en pleine extension. Pourtant, depuis des millénaires, les populations de suidés se trouvaient à un niveau extrêmement bas. Imaginez qu’avec les tableaux qui sont régulièrement réalisés aujourd’hui, ce sont 10 000 bêtes noires qui seraient prélevées. Alors, qu’est-ce qui a fondamentalement changé ? Ecologistes et anti-chasses, qui ont une méconnaissance crasse sur ce sujet, affirment que la faute en revient aux chasseurs qui auraient effectué des lâchers massifs de sangliers, affirmation délirante qui prête à sourire.
Mais il est vrai que la cause principale de cette explosion démographique a toujours été mal comprise.
L’unique coupable, c’est l’arrivée après la dernière guerre en Europe, de la culture du maïs, après la dernière guerre. L’énorme puissance énergétique du maïs grain, cette céréale qui a la particularité d’être un féculent à l’index glycémique très élevé, a chamboulé le cycle hormonal de la laie. Il a réduit la durée de son anœstrus, et modifié radicalement ses périodes de reproduction. Il faut comprendre et admettre que le sanglier jouit d’une particularité que l’on ne retrouve chez aucune autre espèce animale : la maturité sexuelle d’une laie est atteinte au poids donné de 30 à 40 kilos, et non pas à un âge donné. Une laie « dopée » par le maïs, est en mesure d’atteindre ce poids, donc de reproduire, entre sept et neuf mois, alors que son cycle normal avait toujours été de seize à dix-huit-vingt-quatre mois. C’est ainsi que nous voyons maintenant des laies en chaleur deux fois par an, et des mises-bas en toutes saisons, ce qui ne s’était jamais produit avant l’arrivée de cette graminée.
Au milieu du siècle dernier, les populations de sangliers étaient à un niveau extrêmement bas. Citons comme exemple les tableaux du domaine de l’Arsendrie où, en 65 ans, de 1873 à 1938, il a été tué sept bêtes noires sur 1200 hectares… Presque un tous les dix ans…
À partir de cette époque, sur beaucoup des territoires, il était coutume d’interdire le tir d’une laie de plus de quarante kilos. L’application de ce tir éthique était régentée de façon particulièrement drastique, avec imposition d’une forte amende, voire exclusion pour le contrevenant. Cette consigne, qui est parfois toujours appliquée, est extrêmement dissuasive pour le chasseur. Craignant de mal évaluer le poids de l’animal au bout de sa carabine, elle a comme conséquence que celui-ci s’abstient souvent de tirer un sanglier de taille moyenne.
La mesure à prendre serait de libérer impérativement ces sanctions là où elle existe encore, en abandonnant cette obligation de sélection des laies en fonction d’un poids. Et, de surcroît, de ne plus jamais hésiter à tirer les très jeunes.
Et puis il existe un dernier facteur qui est d’origine climatique. La diminution des hivers rigoureux a fait augmenter le taux de survie hivernale des suidés, en augmentant la production de fruits forestiers et l’accès à la nourriture des sols non gelés.
Ce qui semble le plus sidérant dans tout cela, c’est qu’il appartient aux chasseurs, via leurs Fédérations, d’indemniser les dégâts causés aux cultures par les sangliers, alors que ce sont les agriculteurs qui sont les responsables de cette situation. Montant astronomique qui s’élève en France pour la saison dernière, à plus de 31 millions d’euros, sans compter les frais annexes de garderie et de préventions, d’un montant d’une vingtaine de millions d’euros…
Face à l’accroissement régulier des populations de sangliers, ajouté à la probable diminution des chasseurs vieillissants, il semble évident que sans un changement radical de ce procédé archaïque, nos Fédérations risquent de se retrouver en grande difficulté financière. Ou pire ! Par contre, nous devons prendre en compte les dévastations journalières que les sangliers font subir à la faune et à la flore. Omnivores en quête perpétuelle de nourriture, leurs nuisances sur les nids d’anatidés et de gallinacées, les levrauts, les rabouillères, les chevrillards, les faons, enfin, sur la faune en général, nous obligent à nous poser quelques bonnes questions.
Pouvons-nous laisser cette situation continuer à se dégrader ainsi ?
Pour collecter les fonds nécessaires aux remboursements des dégâts des sangliers en Sologne, deux départements, le Loiret et le Cher, ont fait le choix d’imposer aux chasseurs la pose d’un bracelet payant sur chaque animal venant d’être tué. Distribués par les fédérations et quelques commerçants, la possession et la gestion de ces bracelets sont indéniablement contraignantes, et leurs prix risquent de faire parfois hésiter un chasseur à les utiliser sur de jeunes animaux …
A contrario, les dirigeants de la Fédération du Loir-et-Cher ont pris l’option de faire payer aux détenteurs du droit de chasse une taxe à l’hectare, avec carnet de prélèvements obligatoire, mesure bien plus simple et pratique à gérer que la commercialisation de ces dits bracelets …
Mais il y a encore beaucoup plus grave …
Les dévastations journalières des sangliers font subir un chambardement profond à la faune et à la flore de la Sologne. Pouvons-nous laisser cette situation continuer à se dégrader ainsi ?
Et surtout, que pouvons-nous faire ?
Pour causes d’excès de végétation et de chaleur, il est largement avéré que les battues d’été ne donnent que de piètres résultats, causant même parfois des prises tragiques sur les chevrillards et les faons, incapables de se défiler devant les chiens. Autoriser le tir à l’année des sangliers régulièrement agrainés aux pieds des miradors, serait une mesure beaucoup plus efficace et sélective, qui causerait peu ou pas de perturbation… Et puis, ultime décision, sur les parcelles vraiment très infectées, légaliser et autoriser le tir au phare des sangliers, la nuit, en voiture. Certes, cette pratique sévère est dérangeante. Mais l’objectif d’inverser la courbe de la croissance des suidés, ascendante sans interruption depuis plus d’un demi-siècle, semble tellement utopique à réaliser, que la fin justifie les moyens.
Et puis, surtout, il ne faudrait pas trop attendre. Car il arrivera obligatoirement un moment où les chasseurs ne serons plus assez nombreux pour réguler efficacement les suidés.

Alain Philippe