Stay or leave. Ce sera… Out


Au clair de lune, ils sont là, alignés dans la nuit londonienne, dans cette ruelle un peu à l’écart d’une artère plus passante. Des types qui tiennent leurs pintes dans une main, l’outil primaire dans l’autre. Face au mur, on ne joue pas à savoir qui va le plus loin, ni à savoir qui a la plus grosse. Quoique … L’acidité sans doute, les briques blanchies à la peinture en sont toutes écaillées. Ici, les pieds des murs suintent et les rigoles restent bien humides. Au cœur de Londres, c’est début de week-end. Pour ne pas avoir rendu l’enseignement du français obligatoire dans le secondaire, on se trouve là devant l’impossibilité de traduction de « consommer avec modération ». Du coup la John Smith a coulé à flot dès les premières heures de relâche. Les pubs avaient fait le plein. Samedi, ils feront le vide. Dimanche, ils seront à sec. Faut bien que les brasseurs vivent. Le tennis Elbow, derrière les comptoirs des pubs, ça n’existe pas. Stay or Leave (rester/quitter) ça s’arrose. C’est ça aussi la Grande-Bretagne. La Queen Elizabeth peut bien changer son chapeau rose fluo par un autre vert tout aussi trash, elle fera toujours ses 90 piges et les Anglais seront continuellement une surprise pour les Latins que nous sommes.

C’était serré jusqu’au bout et finalement Boris Johnson, l’ancien maire de la capitale a fait une Pogba* à David Cameron, le Premier ministre, au petit matin de ce vendredi 24 juin. Dans la foulée, c’est l’équipe de foot de Rooney qui passe un tour (ce sera le dernier) entraînant dans son sillage celles d’Irlande du Nord et du Pays de Galles. Les bistrots de l’Hexagone en sont tout contents. Le Brexit n’y fera pas grand-chose, la grande île bretonne assume ses propres incohérences et ses divisions géographiques quasi ethniques. Il suffit d’avoir entendu Fish, l’ancien leader-chanteur du groupe Marillion, débuter ses concerts par un vibrant et particulièrement rocailleux – chaque lettre R roulée 10 fois, c’est tout de même beaucoup – « I am born in Aberdeen! » pour bien comprendre que sa citoyenneté se situe plutôt du côté des Highlands que de la Tour de Londres. Tout un symbole.

On a donc arrosé ça comme sait le faire un Grand-Breton, dans la dignité et le respect de l’autre. Quoique, au cours de la campagne, le respect a pris des coups de fusil et la député du Labour, Jo Cox, en est morte assassinée par un taré de la race pure. Comme quoi la religion n’est pas la seule des motivations pour les connards. Un ami anglais – oui on peut discuter avec un Anglais surtout s’il se dit Ecossais – m’expliquait récemment que « British culture is focussed on money and greed – making as much as possible and doing whatever it takes to do so. European culture is more rounded and focusses more on people and the environment. » Comme il semblerait que vous ayez raté certains cours de langue durant votre prime jeunesse, votre serviteur avoue qu’il n’a pas toujours bien suivi, voici la traduction de sa diatribe, à quelque chose près : « La culture britannique est focalisée sur l’argent et la cupidité – en faire autant que possible et faire ce qu’il faut pour cela. La culture européenne est plus souple et se concentre davantage sur l’humain et son environnement … » Finalement, c’est exactement le contenu des débats préliminaires au vote du 23 juin. D’un côté de la Manche on a parlé bourse et gros sous. De l’autre, on a discuté des échanges entre personnes, des probables modifications des habitudes des gens, et toutes ces sortes de choses.

Les tenants du maintien dans l’UE font la tronche. Le repli sur eux-même ils n’en voulaient pas. Les Écossais finalement, ne sont pas si malheureux que ça sur ce coup-là. Pas pour les mêmes raisons. Eux, ils ne voulaient pas s’en aller de là, très majoritairement. Que l’Angleterre redevienne une île ça leur va. Avec le Brexit, ils ont déjà envisagé de remonter le mur d’Hadrien. Ils veulent aussi rendre à William Wallace la place qu’il devrait normalement avoir dans l’histoire du pays. Les fleurs d’Écosse, chardons inclus, ont bien l’intention de fleurir toutes seules et libres ! Le whisky sans taxe britannique, outre que cela ferait presque 5 millions de moins dans les caisses de sa gracieuse Majesté, ça sera tout bénef pour les continentaux. Du Islay à pas cher, on connaît déjà une partie de la clientèle !!!

Le débat pour ou contre le Brexit n’était qu’une pâle copie de la règle n°1 du cricket, sport particulièrement ennuyeux pour toute personne normalement constituée, hors Commonwealth et amateurs de Dards (fléchettes), Skittles (jeu de quille en bois) et Snookers (billard). Cette règle est ultra-simple : « Quand vous êtes dedans vous n’êtes pas dehors et quand vous êtes dehors vous n’êtes pas dedans … » En Anglais dans le texte cela donne « When you are in, you are not out. When you are out, you are not in ! » L’Angleterre se veut Out. Le Pays de Galles, l’Irlande du Nord (l’idée d’une Irlande unique refait déjà surface …) et l’Écosse ont voté In ! Le Royaume sera-t-il Uni jusqu’à la fin du règne d’Elizabeth ? Pas certain !

Les mecs du clair de lune ont, le matin, la gueule de bois. Allez savoir si cette fois c’est seulement à cause de la bière …

Fabrice Simoes

* Une Pogba= danse énigmatique dont le mouvement principal est une main gauche qui vient frapper énergiquement la partie avant du bras droit semi-plié. A effectuer en courant bien évidemment.