Tu as un ticket, ou pas ?


Pour les esprits grivois, rien de sexy dans ce titre étirant un propos plutôt pragmatique : il était une fois 18 milliards de litres d’eau gaspillés, 25 millions d’arbres abattus, 22 millions de barils de pétrole consommés. Derrière ces chiffres gigantesques, se cache un responsable, un objet du quotidien tout petit qui génère en sus 150 000 tonnes de CO2 chaque année du fait de ses 12,5 milliards d’exemplaires édités. Pour certains, c’est une hérésie climatique; pour d’aucuns, c’est un droit de vérification et de preuve d’achat retiré au consommateur. C’est ? Mais oui, le fameux ticket de caisse ! Vous l’avez remarqué : désormais, une fois vos courses acquittées, vous pouvez décider de récupérer (ou non) votre ticket papier, et parfois, il vous est même suggéré de le recevoir par courriel. Dès l’année prochaine, exit la tergiversation : non recyclable à cause de sa taille et son poids, il est voué à disparition suite à la loi anti-gaspillage qui prévoit «l’interdiction de l’impression automatique des tickets en magasin à compter du 1er janvier 2023 ». L’e-ticket lui succèdera, encombrant nos boîtes mail au lieu d’envahir nos portefeuilles et poubelles, et donc de produire des déchets. Le système est présenté plus durable; en effet, chacun pourra le stocker sur son ordinateur, dans son Cloud, afin de continuer à tenir son budget de manière dématérialisée. Ça, c’est la vitrine.

La face cachée de l’iceberg, c’est la communication des données personnelles et par ricochet, la crainte d’une pluie d’opérations marketing générées et autant de cibles potentielles de publicités non désirées qui vont avec, qui inondent déjà nos messageries d’appareils connectés. On oublie sans doute la mode de la carte de fidélité qui s’est un brin tassée, mais qui récolte aussi ces renseignements privés. C’est omettre également que «Big Brother is watching you » n’est pas qu’une dystopie d’Orwell mais bien une réalité à partir du moment où vous choisissez de naviguer sur Internet, d’acheter en ligne ou de créer un compte sur un réseau social. A contrario, qui n’a jamais été effaré des bons de réduction en ribambelle délivrés par la caissière (ou le caissier, car les deux sont possibles sans sexisme) ? Et quand le choix est proposé, “voulez-vous votre ticket?”, combien d’entre nous refusent vraiment ? Il n’existe pas d’organisation angélique et c’est très français de s’inquiéter à la hussarde dès le retrait de bons vieux “privilèges” qui paraissaient naguère de formidables progrès. À l’heure du réchauffement climatique, la polarité s’inverse et la marche arrière est souvent douloureuse, à l’instar du gratuit qui devient de façon impromptue payant. Rappelons que le ticket chéri, objet thermique dont l’écriture apparaît sous le facteur chaleur, contient du bisphénol A, un perturbateur endocrinien, encore présent en dépit de son interdiction en 2015 impulsée par Ségolène Royal, ou alors parfois remplacé par ses cousins tout aussi corrosifs, voire plus, le Bisphénol S ou F …

Par ailleurs, la pollution numérique existe selon Frédéric Bordage, spécialiste en numérique responsable qui précisait en 2018 à nos confrères d’Europe 1, qu’il y a «moins de gaz à effet de serre sur le ticket papier mais plus d’eau. Et moins d’eau sur le ticket dématérialisé mais plus de gaz à effet de serre». Pour couper la poire en deux, peut-être une transition en douceur avec un papier à base de résidus d’amande ou d’écorce d’agrumes ? C’est ce que l’on dénomme de l’upcycling en anglais, à l’instar de l’univers textile qui surcycle (en français) côté friperie en réutilisant et valorisant l’existant. Un monde capable de se réinventer ou une utopie à la Thomas More ? Parce que cela ne résout pas non plus l’impact environnemental des cartouches d’encre. Le feu, ça brûle et l’eau, ça mouille…

Quitte à tenir à un support print, mieux vaut choisir de lire la presse écrite qui n’arrive guère à attirer une jeunesse férue pour s’informer (avec le risque de croiser des fake news) de chaînes d’info en continu, d’écrans Instagram et TikTok, comme nous avons pu le constater aux Assises du journalisme de Tours le 10 mai dans le cadre de notre invitation à un joli moment d’émission radiophonique “Journalistes en Herbe” menée par Citéradio en direct de l’ancienne imprimerie MAME avec la classe de 4e presse du collège Philippe de Commynes. Moralité : rien n’est parfait, mais tout est perfectible…

Émilie Rencien