Cour-Cheverny – Esprit royal enfermé dans une bouteille…


ENIVRANT L’histoire de la liqueur de Chambord ne date pas d’hier et continue à séduire les palais, notamment internationaux, avec une recette inchangée. Plongée dans l’excellence.
Emilie RENCIEN


Il était une fois un contenant dans lequel se cachait non pas un génie, plutôt du génie qui s’épanouit avec du Vouvray à l’apéritif ou versé sur une glace en dessert. « Chambord liqueur royale de France ». Sur le papier, cela fait son effet, dans les verres également. Il suffit d’y goûter pour mesurer la qualité du spiritueux à la teinte rose carmin. Qualité maintes fois vantée par les 20 salariés permanents qui œuvrent dans les murs du site d’élaboration qui se niche, depuis 2005, derrière un château à Cour-Cheverny (celui de la Sistière), au cœur d’un parc arboré de 22 hectares, où faune et flore coulent une vie paisible (*). Royal, le mot prend alors tout son sens. La légende raconte même que l’élixir serait né sous l’impulsion, justement, de la Royauté française au XVIIe siècle, en souvenir précisément de la visite de Louis XIV dans le Val de Loire. C’est aussi et surtout la magie d’une rencontre en 1982 entre deux hommes, l’un artisan français, Aimé Boucher, installé à Huisseau-sur-Cosson, l’autre, entrepreneur américain fortuné, Sky Cooper, directeur de la société Charles Jacquin & Cie à Philadelphie. Les années ont passé mais le duo visionnaire aura su décrocher les étoiles alcoolisées. La fabrication de ladite liqueur, exportée à 90% dans le monde entier (avec deux pays qui en sont particulièrement friands, les Etats-Unis et le royaume-Uni), demeure réalisée dans le Loir-et-Cher, aux portes d’un autre château, celui de François Ier, dans la pure tradition. Macération longue à 22 degrés, pressurage, infusion, extrait élaboré… Perfectionnisme poussé à l’extrême, ce mélange subtil constitué de fruits rouges ainsi que de cognac, de miel, de vanille, de cannelle, de gingembre et de citron, est évalué au quotidien par des testeurs sensoriels, désignés parmi les employés, pour garantir la constance du luxueux produit. Doux rêve, en dépit du fait que les framboises, sélectionnées avec soin et rigueur, proviennent de… Serbie. Tout comme les cassis et mûres achetés dans des pays sis hors de nos frontières hexagonales, comme la Pologne. « La majorité de nos matières premières viennent de France. Le sucre et les arômes, exclusivement naturels, qui proviennent de Grasse, Amiens et Provins. Pour les fruits, nous avions travaillé sur ce sujet avec la Chambre d’agriculture de Loir-et-Cher et le cadran de Sologne, nous avons même collaboré un temps avec de petits producteurs dans l’Eure et le Morbihan, mais voilà, nous avons besoin de gros volumes annuels, soit 60 tonnes, » a justifié Fabien Guillet, responsable Processing. Quoiqu’il soit, le consommateur ne semble pas bouder son plaisir digne d’un roi : chaque année, environ 1,5 million de litres royaux sont ainsi embouteillés. Dans six formats haut de gamme, de la miniature de 50 ml (comptez une quinzaine d’euros) au généreux 750 ml.

Pot viticole contre pot liquoreux
Derrière une esthétique parme et dorée affichée sur la bouteille qui délivre de la bonne humeur dans le verre, se cache toutefois une contrariété, à savoir un différent de taille en cours entre le Domaine national de Chambord et la liqueur de Cour-Cheverny, détenue depuis 2006 par le géant américain Brown-Forman. Pour rappel, le premier commercialisera dès le printemps 2019 sa première cuvée d’exception (issue notamment de cépage Romorantin), et souhaiterait, évidemment, utiliser le nom de Chambord sur ses étiquettes. Ce que lui refuse le second. Ce qui poserait surtout péril en la demeure, c’est qu’il se murmure qu’il se pourrait que le site étatique veuille à son tour produire sa propre liqueur… Alors, qui se montrera plus royaliste que le roi ? « La marque Chambord nous appartient depuis longtemps, notre entreprise possède un ancrage territorial, » a réagi Sandrine Chauveau, responsable administratif, financier et des opérations de la liqueur courchoise. Avec le Domaine National, nous allons nous rencontrer incessamment sous peu pour discuter et trouver une solution. Ce n’est plus qu’une question de date» Vu de l’extérieur, la bataille paraît rude, mais qui sait, la négociation se terminera peut-être avec un verre de l’amitié entre les deux parties ?

(*) Davantage à lire dans le Petit Solognot Magazine à paraître fin octobre en kiosques.