Le Roi, la gazelle et les moutons


Kiki qui ? Marlène Schiappa en Une de Playboy, et c’est un drame français. Oui, sans doute, une secrétaire d’État chargée de l’économie sociale et solidaire, ancienne ministre, doit tenir son rang. Mais oui, peut-être qu’également, la modernité et une communication du nouveau monde peuvent enfin entrer au palais de l’Élysée et dans les esprits franco-gaulois. Nous n’aimons ni ne détestons Madame Schiappa, nous l’avions même loupé sans regret lors des derniers Rendez-Vous de l’Histoire à Blois en octobre 2022. Celle-ci commet certes des bourdes de jeune gazelle, de temps à autre (les révélations de Médiapart sur l’utilisation visiblement discutable d’argent public et du fonds Marianne, qu’elle aura lancé en avril 2021 contre la radicalisation en ligne, en est un récent et tonitruant exemple). Néanmoins, cette fameuse Une, sans tenue de bunny, n’est pas si vile chose. Le pari est certes osé, pour bavarder féminisme, de poser en vedette sur le papier peint de la chambre de fantasmes masculins singuliers. Pourtant, interrogeons-nous : si un député, Renaissance, au hasard, avait posé avec une cravate pour simple appareil sur cette même couverture de ce même magazine d’obédience érotique, le feu des commentaires aurait-il été du même bois ? Chacun aurait plutôt badiné sur le fait qu’un nœud papillon fait moins habillé… Pourquoi pas, après tout, en 2023, une femme, représentant certains arcanes du pouvoir, ne pourrait-elle pas tenter un prêche sexué, directement à la source de désirs masculins lubriques imprimés sur papier glacé ? Il n’est pas évident que le discours féministe passe vraiment auprès de ce type de lectorat (et lecteurs), mais l’audace peut payer. La France deviendrait-elle puritaine, au moment où chez l’oncle Sam, l’ex-Président Donald Trump risque l’inculpation après avoir acheté le silence d’une star du porno ? Le vrai problème réside ailleurs : cette couverture de Playgirl aurait très bien pu détendre l’atmosphère. Seulement voilà, la période n’est pas franchement propice à la rigolade et au jeu, et il faudrait davantage de préliminaires pour décrisper une atmosphère socialement gangrénée depuis trois mois. Ce qui dérange au fond, c’est surtout une énième affaire à la Cour du Roi qui s’ajoute au mauvais karma dont ne parvient pas à se libérer le Président de la République française, Emmanuel Macron. Conséquence de la marche forcée d’une réforme contre les retraites qui ne passe toujours pas mais pas du tout, à tel point que les fêtes de Pâques étant passées, il est possible de se demander si, au train où va l’actualité, les manifestants ne défileront pas jusqu’à Noël. En vérité, cette Une Schiappesque, sur laquelle tout le monde, ou quasi, tire à boulets rouges lancés tel un troupeau de moutons, est-elle choquante ? Cachez ce sein… Pourtant, on ne voit rien ! Une robe sensuelle et un micro bout de hanche sous l’immaculé drap, la belle affaire. La liberté n’a pas de prix ! La tenue d’Ève n’est plus exclue des salons littéraires, n’est plus cantonnée aux fourneaux pour faire plaisir aux seuls hommes. La France deviendrait-elle un brin rétrograde, cédant aux sirènes d’une bienséance aux écailles patriarcales ? Et qui s’est en définitive intéressé au contenu de l’article ? Et puis, Marlène Schiappa n’a rien inventé : ni la queue … de poisson, ni le fil à couper le beurre, ni les Une de Playboy. Au début des années 1980, outre-Atlantique, le sulfureux Trump, qui n’était pas encore chef d’État, posait sur cette célèbre couverture. Plus sérieux, en 1976 aussi, Jimmy Carter, alors candidat à la présidence américaine, avait causé avec ce même lapin dans les kiosques. Plus étonnant, le d’apparence très sage, Jean-Pierre Chevènement, avait figuré également dans cette presse de charme en 1985 alors qu’il était ministre de l’Éducation Nationale, puis en 1993 quand il n’était plus au Gouvernement, toutefois sans habit d’Adam. Alors, kiki quoi ? Une femme, on lui jette des tomates; un homme, on applaudit ! Simone de Beauvoir l’écrivait déjà au XXe siècle : “Il est très difficile à une femme d’agir en égale de l’homme tant que cette égalité n’est pas universellement reconnue et concrètement réalisée”. Sur France Inter, le 29 mars 2023, les paroles de la chanson humoristique « Les Sans Kikis » de GiedRé, résumait parfaitement : «Pas de bras, pas de chocolat, pas de kiki, pas de répit. La vie, c’est moins fatiguant quand on a un truc qui pend… ». Tout commentaire supplémentaire se révèlerait superflu, tant il pleuvrait à nouveau des hommes.

Émilie Rencien