Pour distancier le spleen, dégainez votre gloss !


Face à la morosité qui perdure, dans les nuages et le cœur de l’humanité, une ritournelle de la prêtresse de la mode vient à l’esprit, comme pour éviter un instant de trop cogiter. Sauf peut-être à son porte-monnaie. La citation originelle conseille exactement : “Si vous êtes triste, ajoutez plus de rouge à lèvres et attaquez”. En ces temps covidés, en effet, les bonheurs les plus simples se trouvent bonifiés, qu’il s’agisse de fêter l’anniversaire de sa mère entre col claudine strassé et crêpes dentelle, ou se répéter cette mythique idée signée Coco Chanel. En ces temps masqués, sans bal, outre la passionnante politique dont nous nous délectons avec ses drôles (ou pas) d’hommes que nous suivons, il demeure une liberté autorisée, également divertissante, de femmes fatales : le shopping ! Qui plus est, pendant une prolongation des étiquettes soldées jusqu’au 2 mars. C’est d’abord un journal people qui aura retenu notre attention amusée, relatant le déplacement à Blois le 3 février, de Brigitte Trogneux, épouse Macron, à la Maison des adolescents pour des Pièces Jaunes; ledit texte donnait quasiment pour seule information, le fait que la Première dame avait réalisé une sortie surprise en solo – sous-entendu dans le dos de Manu (ahaha) – sans grand bruit, par contre avec maxi élégance grâce à un blazer vert à épaulettes et des bottines noires ! En bref, il arrive qu’une certaine presse s’apparente à ce que peut être quelquefois la mode : une vitrine aux plus beaux atours qui expose, puis fausse ou bien exacerbe. C’est également un roman, signé Nelly Kapriélan (2014 chez Grasset), ressorti de ma bibliothèque, « Le manteau de Greta Garbo » qui deviendra l’étoupille ultime de cette apparence girly déployée sur ce papier. La critique littéraire des Inrockuptibles et de Vogue interroge une tendance : « Pourquoi Greta Garbo achetait-elle des centaines de robes alors qu’elle n’en portait aucune, ne se sentant bien que dans des tenues masculines? S’habille-t-on pour se travestir et se mettre en scène dans un rôle rêvé ? (…) La mode allait nous offrir la possibilité d’accéder à toute une gamme de jouets fétichisés, et son succès tiendrait dans sa capacité à engendrer ces prothèses à échelle industrielle.» Yves Saint-Laurent décrit, lui, la mode telle “une maladie incurable”. Une pathologie qui questionne notre manière de consommer en 2021, après une année 2020 de gestes barrières et tests divers, de confinements et couvre-feux où le comble de l’insolence consiste peut être à acheter deux paquets de gaufrettes à 17h45 en comptant lentement ses pièces cuivrées pour à la caisse du supermarché, tout bloquer. Assurément, il convient de stopper les frais : depuis une poignée d’années, la décroissance, apparue dès les seventies, a été érigée, tandis que des engagements ont fleuri ici et là pour intimer une mode éthique et durable. Particulièrement en 2019 en préambule du G7 à Biarritz, où la volonté environnementale de 32 entreprises du textile (Adidas, Chanel, Burberry, H&M, Nike, Stella Mc Cartney, et consorts) , dans le cadre d’un «Fashion Pact», était hissée haut. À l’automne 2020, sera survenue une consultation citoyenne sous l’impulsion d’un collectif d’acteurs du secteur (Galeries Lafayette, Étam, Éram, et cie), avec le concours de l’association Paris Good Fashion. L’an passé, un rapport de l’ONG Climate Chance établissait la responsabilité chiffrée de cette industrie : un tiers des rejets de micro-plastiques dans l’océan, 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le soufflé domino aura motivé des boutiques de fringues de seconde main qui sont loin d’être retombées, à Blois, Tours, et ailleurs (sur le Web, Vinted, notamment). Si les intentions d’action-réaction apparaissent louables, elles peuvent constituer un mirage “green washing”, où la mode se cache-cache, vêtue de vernis marketing. Moult marques surfent sur la vague trendy, arguant pour rassurance d’une viscose “écologique” et même “recyclable”, avec “jusqu’à 50% de moins d’énergie et d’eau”. C’est beau mais peut-être faux ? Dans le détail, viscose, lyocell et modal restent des fibres artificielles produites via des ressources naturelles (cellulose), souvent en Asie, au gré de chimies de transformation polluantes. Les fibres synthétiques (polyester, nylon, acrylique, élasthanne) riment avec pétrole, pendant que le coton semble une bête noire à cause de sa culture vorace en eau, adepte de pesticides. Le coton biologique paraît plus vertueux, bien que pas tellement. Ardu… Ce serait davantage aisé, nus ? Les vertus de l’ortie, plante vivace sans besoin d’irrigation, commencent à être vantées. Tandis que pour les vegans, des chaussures sont nées “sans” composants d’origine animale, “avec” des déchets de cactus et du tunit (ou néolite; granit ? caoutchouc ? c’est rarement traduit et clair) et aussi, et c’est là où le talon peut blesser, côté semelle écolo : “en provenance du Brésil”. Le monde parfait n’existe pas… Et l’enfer est pavé de bonnes intentions. En février 2021, suite à la consultation citoyenne (107 000 participant(e)s) sur make.org), douze engagements responsables (collecte d’articles usagés en magasins, réduction du volume des emballages, etc.) ont ainsi été émis, à concrétiser d’ici fin 2024. Découlant de la crise du coronavirus, le jour d’après rame encore dans son jus fantasmagorique. « À plusieurs reprises, les contes de fée ont mis en scène des sommeils maléfiques : le corps tombe dans la mort mais le cœur continue de battre, » narre Nelly Kapriélan. “ Mais était-ce vrai ? Le retour du prince, et son baiser, n’advenaient-ils pas seulement dans le rêve des endormies ? N’étaient-elles pas simplement en train de rêver, puisant en elles, inventant en elles, l’illusion magique qui allait les délivrer d’une illusion mortifère? ” Alors, phénix ou chimère, dans une culture du jetable et du shopping compulsif commercialement concoctés pour endimancher les corps et remblayer les vides intérieurs ? Les princes n’existent qu’au rayon biscuits; miroir, miroir, donne-moi de l’espoir… Finalement, en balançant sur l’amusoire, à la mode Coco, je dégaine mon tube de rouge diva pour extravaguer, en arborant le plus beau vêtement qui ne coûte rien, ne pollue pas, oublié en ces moments de visages camouflés : un sourire aux lèvres.

Émilie Rencien