Repenser notre deal par Gérard Bardon


La grande grogne contre Macron qui, soyons honnêtes, paie les pots cassés et jamais réparés de ces prédécesseurs, occupe l’actualité à quelques jours de Noël : prix du carburant, pouvoir d’achat, impôts… demandes sonnantes et trébuchantes qui expliquent le fort soutien du peuple français aux gilets jaunes. Si dans la question posée par les sondeurs étaient ajoutés la suppression du Sénat, la démission du président, la constitution d’une assemblée citoyenne, qui mènerait, comme toujours dans l’histoire, d’abord à l’anarchie puis à la dictature, sans doute aurions-nous un autre résultat.

Les gilets jaunes, un mouvement citoyen inédit, sans parti – attention à l’entrisme et au noyautage, les identitaires, extrême-droite et les islamo-gauchistes sont à l’affût, ils appellent de leurs vœux une guerre civile brutale (lire le superbe dossier dans Le Point du
29 novembre) -, sans chef, qui expriment leur ras-le-bol et leur impatience. Emmanuelle Macron est confronté à son troisième mouvement social après la loi travail et la réforme de la SNCF. Dans ces deux cas, l’exécutif est sorti victorieux. Se sont-ils sentis trop beaux ? Il est temps de redescendre quelques marches du perron de l’Elysée pour mieux entendre et surtout mieux répondre.

Ayons le courage de dire que les raisons profondes de cette détresse sociale ne date pas des dix-huit derniers mois, et les politiques au pouvoir ici et là depuis des années, de gauche, de droite, du centre et des extrêmes devraient se cacher, baisser la tête et non tenter de récupérer le combat. Ces raisons sont multiples: l’absence de réforme permettant de s’adapter à une mondialisation qui a fait des heureux, la pauvreté a reculer dans le tiers monde, mais aussi des malheureux, particulièrement dans les pays dits riches qui sont restés passifs; la désindustrialisation ; la retraite à 60 ans, les 35 heures, responsables de la non augmentation des salaires depuis… ; une élite gouvernementale sans imagination ni courage, passive et parant au plus pressé : comités théodule, hauts-conseils, taxes, impôts, assistanat… Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Royal (cet ex couple qui sans pudeur et sans honte, annoncent un possible retour) étant passés par là.

Le sociétal a servi de cache-misère. Ils ont préféré s’occuper de notre façon de vivre et nous avons été, nous sommes, soumis au règne des minorités agissantes : syndicats, lobbies, Nuit debout, Faucheurs volontaires, Zad, Jeudi noir, Génération précaire, L214, Femen, Touche pas à mon pote, et autres MRAP… Nous sommes passés progressivement de la règle du plus grand nombre vers la loi du plus bruyant. Les minorités, qui par nature sont « agissantes » alors que la majorité est comme chacun sait « silencieuse », ont monopolisé la parole et paralysé les réformes : anti-raciste, féministe, antispéciste… Le but final étant d’opposer frontalement, avec pour conséquence l’apparition d’un climat malsain et haineux entre les hommes et les femmes, les hétérosexuels et les homosexuels, les blancs et les non-blancs, les riches et les pauvres, les omnivores et les herbivores… Ce glissement de notre démocratie vers la béatitude systématique et imbécile de tout ce qui est minoritaire, marginal, différent voire dérangeant, est d’autant plus inquiétant qu’il prétend s’imposer au nom de la lutte contre tous les racismes, s’appuie sur une caricature de pensée pseudo égalitariste et pourrait menacer à terme les fondements d’une société qui a sans doute d’énormes défauts mais aussi d’infinies qualités. La soumission, encouragée par les médias, aux normes édictées par des minorités très actives est dangereuse pour la majorité parce qu’elle réduit la liberté d’action, d’expression et s’attaque à la pluralité de pensée. Toutes les dictatures sont insupportables, y compris celles des minorités.

Et le temps filait : corporatisme, dogmes, théorie du genre, foulard, fessée, nouvelle orthographe… Le monde évoluait et nous nous regardions le nombril. Il faut urgemment repenser le deal de notre société. Aveuglés par les « Trente Glorieuses » où il suffisait de répartir les fruits de la croissance, la France s’est endormie. Essayons de nous remettre autour de tables de négociations, installés dans chaque canton et parlons, c’est une vraie proposition, saisissons-la, en ayant présent en mémoire que l’on ne peut réclamer la baisse des impôts et des taxes tout en réclamant des services supplémentaires. N’idéalisons pas trop les gilets jaunes, ne les faisons pas passer pour les héritiers de 1789. En 1789, le monde était fermé, en 2018 il est ouvert, nous ne sommes pas seuls sur la planète et plus en haut de l’échelle mondiale. Sommes-nous certains de ne pas découvrir, plus tard, que des mélenchonistes, des lepenistes ont inspiré ce mouvement, l’ont infiltré, ou si, profitant de l’aubaine, ils se sont juste engouffrés avec jubilation dans la brèche ?

A l’époque des réseaux sociaux sans foi ni loi, où la bile remplace la réflexion, soumis à des médias sangsues et buzziques, préparer l’avenir sans nuire au présent ne sera pas simple. Penser au futur – sauver la planète – sans oublier la satisfaction des désirs immédiats et compréhensibles de nos contemporains ne sera pas aisé. Monsieur le Président, malheureusement pour vous, vous êtes aux commandes, à vous de tenter de résoudre cette équation mal de crâne. Sinon nous passerons du quinquennat au semestre et le prochain président pourrait être un populiste, un extrémiste ou les deux…