Poison d’avril


« Homo homini lupus est ». Cette année 2020, le philosophe Hobbes n’aura jamais été autant ressorti de sa boîte de citation plus que jamais empreinte de sens. Et un loup peut cacher une chauve-souris fricotant avec un mammifère à écailles chinoises avant de s’acoquiner avec l’être évolué. Des animaux qui ont parfois bon dos. Le risque zéro n’existe jamais et l’erreur ne sera sans doute prudemment pas obligatoirement (re)connue. On ne nous dit pas essentiellement tout et on ne peut plus rien dire non plus… Entre la peste et la choléra, en passant par le coronavirus, les cumulus assombris s’amoncellent au-dessus de nos têtes que l’épée de Damoclès est prête à couper dans l’impasse, et assurément, c’est bien l’Homme qui se cannibalise à force d’époques de volants tournés de manière persistante dans la mauvaise direction du giratoire de la vie. Les flammes ravageant la cathédrale Notre-Dame de Paris il y a un an, en 2019, puis dévorant inexorablement l’Australie, sans se positionner mystiques ni complotistes ni même dans le triptyque de Nostradamus, faisaient songer à un premier SOS lancé à une humanité à la dérive aveugle et aux politiciens à la sauce Pinocchio. De manière insidieuse, le Covid-19, tel sorti d’un blockbuster de science-fiction à l’américaine ou de roman d’horreur signé Stephen King, est venu enflammer ce printemps 2020 le monde entier, logeant bactériologiquement tout le monde à la même enseigne, dans un troisième conflit pas comme les autres, aux armes redoutables puisqu’impalpables, prenant décor dans un état de bête humaine à la Zola. Et fâcheusement, il ne s’agit pas d’un poisson d’avril, mais bien d’un poison. En ces temps toxiquement atypiques, la polémique est jugée déplacée et un grand classique à chaque crise, l’unité est haranguée. Dans la tempête covidique, les élus locaux tiennent bon la barre ; les prémices des élections municipales du mois de mars 2020 paraissent un gouffre béant fort lointain ayant abruptement débouché sur une plongée dans un énigmatique cauchemar français qui durera, a minima, jusqu’à l’objectif lune déconfinée, escompté décroché le 11 mai, promettant au quidam l’achèvement d’une réclusion indéterminée vers le commencement d’une liberté surveillée. L’épopée virale se joue d’en haut sur fond mortel de Gouvernements aux éléphants, hippopotames, rapaces et drôles d’oiseaux qui composent comme ils peuvent pour contrer l’adversité inopinée; l’ensemble gratiné de longues conférences officiellement argumentées, de mensonges éhontés, de coupes budgétaires erronées, de pilules à avaler saupoudrées à la chloroquine distanciée et aux pesticides rapprochés, de moult entreprises au chômage partiel et en télétravail connecté risquant d’être sacrifiées sur l’autel d’un virus de la modernité, d’attestations de déplacement dérogatoire à cocher, de supermarchés dévalisés, et de moyens sanitaires aux volumes gringalets, d’une valeur jugée désuète hier, d’une rareté pas si surannée désormais. Quelle pagaille organisée ! Un pangolin n’y retrouverait pas ses petits emmaillotés.

Personne n’est parfait, ni même immortel. La peur n’évite pas le danger et show must go on. Bien que cela marche de mal en pis. « Un mal qui répand la terreur, mal que le Ciel en sa fureur, inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)… ». Nous voilà devenus tels les animaux malades de La Fontaine. La morale de la fable ? Nos amies les bêtes se trouvent moins dépourvues une fois le joug venu, pendant que nous autres, pauvres bipèdes damnés, nous pistons encore l’épilogue au bout du tunnel valétudinaire que nous traversons entre quatre murs reclus, après la réception de l’impromptu boomerang, sans apercevoir le phare dans la pénombre dans l’immédiat. Après la poignante fiction de « l’Été meurtrier », bienvenue dans la réalité écrasante d’un printemps confiné. Ce n’est définitivement pas un poisson d’avril, ce n’est même pas le moment de s’esclaffer. Car qui paiera la facture des pots cassés en vrai ? À qui profitera le crime en destination finale ? Carpe diem. Il convient de demeurer positifs, sans se masquer de naïveté.

La crise pandémique induite par ce nouveau coronavirus serait-elle une crise de surcroît écologique ? En janvier 2020, dans le cadre d’une traditionnelle cérémonie de vœux aux personnalités et aux médias, dans le Loir-et-Cher, Nicolas Perruchot, président LR du Conseil départemental, osait à Blois opposer « écologie » et « écologisme », provoquant un tollé parmi ses détracteurs politisés qui auront asséné les critiques à coups de posts infectant les réseaux sociaux. Plus précisément, dans le texte, Nicolas Perruchot avait affirmé «dire oui à l’écologie mais une écologie positive et non punitive. Redire non à l’écologisme qui est une doctrine dangereuse. Notre département est rural. On peut rêver circuler en vélo et en trottinette mais c’est une utopie complète. Je suis sceptique. Tout comme on aura pu se méfier du libéralisme, du socialisme, il faut combattre l’écologisme. L’écologisme est l’enfant du vieux communisme et de la haine de l’humanité.» Sans adouber quiconque mais juste pour raccrocher les wagons, en conférence de presse préparatoire à ce discours annoncé, les journalistes, qui ne savaient pas encore qu’ils allaient bientôt devenir des « reporters de guerre », avaient eu le droit à une explication sur ce duo de mots par le capitaine Perruchot qui avait jadis tenu à mettre en exergue le péril en demeure. Sous prétexte de bonhomies et de bons sentiments de bionomie, une poignée d’esprits intellectuels pense parfois détenir LA solution face aux pollutions et au changement climatique, c’est-à-dire simplement et radicalement appuyer sur le bouton « supprimer »… les occupants d’une Terre offensée. Au passage, et nous l’avons sans doute zappé et/ou oublié, chacun se remémorera maintenant qu’en 2012, le géant de l’informatique, Bill Gates, affirmait déjà pour sa part aimer le peuple humain mais vouloir s’en départir d’une partie (soit 10% à 15%) notamment pour réduire la couche de gaz carbonique dans l’atmosphère. Citons en sus le commandant Jacques Cousteau qui déclarait naguère : « La Terre est cent fois trop peuplée. Une terre et une humanité en équilibre, ce serait une population de cent à cinq cents millions de personnes […]. C’est une chose terrible à dire, mais pour stabiliser la population mondiale, nous devons perdre 350 000 personnes par jour. » Les exemples sont légion, et de la fiction à la réalité, à force de le déclarer et d’y songer fortement, y serions-nous arrivés, débarqués ? Entre la sélection naturelle de Darwin et la restriction de natalité de Malthus, l’équation balance ce printemps 2020 son cœur arithmétique au gré de la faucheuse Covid numéro 19… A posteriori et face à l’actuel ballet chiffré mortifère qui rythme notre quotidien depuis des jours et des jours, en France et partout ailleurs dans le monde, cela refroidit et tinte forcément différemment. Nous ne parlons pas des vidéos datées d’une décennie qui garnissent également la Toile interrogeant, en mode Avengers : «et si nous supprimions d’un claquement de doigt la moitié de l’humanité ? ».

Même si nous préférerions, ce poison d’avril 2020 n’est pas une invention issue de chez Marvel. À examiner, confinés, sans refuser d’entendre l’appel de détresse d’une planète en roue libre au bord de la crevaison. À observer, confinés, momentanément privés de mouvements en liberté, mais avec du temps à écouler pour nous regarder en face et cesser de nous masquer les yeux. Mais tout le monde ne les ouvrira pas, alors qui vivra verra après cette chute précipitée qui s’achèvera de l’un ou de l’autre côté du ravin emprunté. Jour 1, 2, 3 ; journées 6, 7, 8, 38… Dans ce chaos moderne, le verre se remplit à moitié-plein : certains retrouvent le goût des produits locaux et de la cuisine maison, comptant les kilos et bourrelets envolés ; d’aucuns confirment l’agilité des territoires ainsi que des « makers » de la France d’en bas ; d’autres renfilent le vieux survêtement laissé au fond d’un placard puis remis en haut de la pile de mode minimalement enfermée; d’autres encore se plaignent des barreaux derrière lesquels ils entrevoient une existence soudainement agrémentée d’une restriction censée sanitairement protéger, cette même existence en cage où pourtant, ces mêmes hommes placent des animaux sous prétexte de les préserver dans des espaces clos toute l’année… À méditer et alors, pas comme avant, le changement, c’est maintenant ? Le slogan tiré d’une ancienne campagne électorale d’une époque au parfum de rose semble bien éculé et une fois les fleurs fânées, le jour d’après peut d’avance s’étioler car force est de constater que chassez le naturel, il revient souvent au galop. Contre toute attente, à y réfléchir, le confinement se révèle moins emmurant que les indicibles entraves de diverses natures qui nous aliènent depuis si longtemps. Elles nous consument même, comme indéfectiblement : récemment, après la torche incendiaire chez Lubrizol à Rouen, des flammes infernales narguent la centrale de Tchernobyl. Pas de fumée sans feu, un signe supplémentaire vers un virage d’enfer ? Alors, finalement, restez chez vous, c’est peut-être mieux ! Et aussi, à l’avenir, afin de conjurer ce poison de sort, peut-être ne souhaitez plus la bonne année ? Ce vœu attentionné se révèle au fil de l’accumulation de jours, semaines et mois tant empoissonnés de plus en plus une vaine idée.

La plume en liberté, Émilie Rencien