Petits chaperons rouges et grands méchants loups

Les fêtes de fin d’année approchent à grands pas et il faudra tenter de rester dans un état d’esprit « oh, oh, oh », en accrochant boules et guirlandes avec sobriété dans le sapin. Il faudra essayer d’oublier que les fillettes, rêvant au prince charmant et / ou au père Noël, ne sont plus en sécurité en rentrant du collège en proie au grand méchant loup. Un animal bipède bien plus dangereux que le canidé qui provoque tracas et trépas aux éleveurs et à leurs troupeaux dans cinquante départements français actuellement. Pour éviter de tenir ici un cabinet de faits divers, empli de portraits ad nauseam de serial killers dissimulés sous une cape de monsieur tout le monde; pour ne pas rejouer la mélodie dramaturge des malheurs guerre-inflation-austérité que tant interprètent déjà en boucle, dissertons sérieusement sur un dossier qui n’est guère plus consensuel mais qui, lui aussi, suscite moult débats et soulève tant de passions de société. Attention, gros mots : l’écrivain et journaliste devenu député, Aymeric Caron (REV, Révolution écologique pour le vivant), a déposé avec le groupe LFI-NUPES une proposition de loi (PPL) d’abolition de la corrida en France, soutenue par plus de 130 associations de défense des animaux. À la lecture de cette seule phrase, certains visages deviendront rubescents, autant que lorsqu’il est évoqué l’interdiction de la chasse à courre ou encore l’obligation de menus végétariens une fois par semaine à la cantine. Mais l’émotion est humaine. La pression populaire et gauloise est tellement forte que LFI a choisi au dernier moment, finalement, de retirer cette PPL, qui devait être scrutée le 24 novembre à Paris, quai d’Orsay. De précédents essais avaient également échoué : en 2013, les coprésidents du groupe Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à l’Assemblée nationale, Barbara Pompili et François de Rugy, avaient soumis une PPL pour faire tomber un fameux passage du Code pénal. Si ce dernier en effet sanctionne les actes de cruauté envers les animaux “sans nécessité”, l’alinéa 7 de son article 521-1 alloue par contre exception à “des traditions locales ininterrompues”. En 2021, dans le cadre de l’examen d’une PPL sur la maltraitance animale, le groupe écologiste du Sénat avait brandi à son tour un amendement dans une même volonté de suppression. Sans aboutissement jusqu’ici. Le chemin peut être sinueux. Face à ce qu’il a qualifié d’“obstruction”, Aymeric Caron qui y croyait un peu, dépité, a toutefois promis «une nouvelle proposition de loi transpartisane» qui pourrait être débattue début 2023 au palais Bourbon. L’important est d’avoir introduit courageusement le débat sur la scène publique, d’avoir pu braquer les projecteurs sur, pour en parler. Bien que ce repliement de texte n’ait pas été largement commenté, éclipsé ce même 24 novembre par un “Tu vas la fermer!” du député de Guadeloupe, Olivier Serva (LIOT) dans l’hémicycle sur le dossier des soignants non-vaccinés, en mode taureaux lâchés. Il n’empêche que d’après un sondage IFOP/FBB daté de février 2022, 87 % des Français sont favorables à l’abolition de la corrida animale (course de taureaux en espagnol), “tradition” vieille de 170 ans (les jeux taurins seraient justement nés en Espagne au Moyen-Âge). Selon le baromètre annuel « Les Français et le bien-être des animaux », mené par la Fondation 30 Millions d’Amis et l’Ifop début 2022, le bien-être animal figurait parmi les priorités majeures dégagées par les Français lors de la dernière élection présidentielle, au même rang que l’écologie, la sécurité et le pouvoir d’achat. Aussi, à lire ce même baromètre, 77 % des Français se sont déclarés enclins à accepter l’interdiction de la tauromachie (soit +27 % depuis 2007). En Amérique Latine, au Panama plus exactement, ce “divertissement” est banni depuis 2012, tandis que la Catalogne a voté son arrêt au Parlement en 2010; les îles Canaries ont sauté le pas en 1991, pour ne citer que quelques exemples, progressistes. À l’approche de la trêve des confiseurs, oserions-nous évoquer dans cette foulée, la suppression du foie gras, par les municipalités écologistes de Strasbourg (en 2020) et Grenoble (depuis 2014), des buffets de leurs cérémonies et évènements, tout comme avant eux, en 2021, l’avaient décidé le maire socialiste de Villeurbanne et l’édile EELV de Lyon. Nous voilà alors immédiatement transformés en petits chaperons rouges aux yeux des grands méchants loups avides de candeur ! Mais l’émotion est humaine. Néanmoins, les férus de torture puis mise à mort d’un taureau, – présenté dans la bouche de l’argumentaire de quelques-uns comme un animal non domestique, un combattant honoré de ce respect offert par l’Homme (ah bon, hum),- accepteraient-ils de regarder le même “spectacle” sur un être humain ? La question volontairement peu orthodoxe peut choquer mais mérite d’être posée, pour éviter le vase clos bien-pensant. Là encore, l’opprobre va être d’emblée jetée et des cris indignés reprocheront de comparer l’incomparable et surtout, d’avancer qu’un humain égale un animal, et le débat stérile sera reparti pour un tour entre darwiniens, animalistes, spécistes et consorts. Dans une démocratie qui existe et se respecte, aucun combat n’est vain; il peut s’avérer de longue haleine, le temps de faire évoluer les consciences hors des cavernes au passé tenace et autres arènes immuables. Pour récente preuve, parfois, la bobinette cherra : suite à la pugnacité de la LPO, Ligue de protection des oiseaux, et de l’association One Voice, la plus haute juridiction administrative française vient d’annuler pour la quatrième année consécutive les arrêtés ministériels autorisant les pratiques moyenâgeuses de piégeage d’oiseaux sauvages et de capture létale de 106 000 alouettes, 5800 grives et merles, 1230 pluviers et vanneaux, à l’aide de pantes (filets) et de matoles (cages tombantes) dans cinq départements du Sud-Ouest, de tenderies (filets et lacets) dans le département des Ardennes. Un petit pas pour la cautèle du chaperon rouge, un grand pas pour la magnanimité du grand méchant loup.

Émilie Rencien