La Reine est morte, God save the King


Les télés avaient déjà tout préparé depuis des lustres. Quand on arrive à 96 ans, si on ne prend pas un peu d’avance, ça ne laisse plus beaucoup de délais pour préparer les nécrologies. Isn’t it.
Pourtant, on en avait presque oublié qu’elle pouvait mourir, Elizabeth II. Elle était là depuis tellement longtemps. C’est que la Lilibeth faisait partie des murs et des images de Windsor et de Balmoral. Elle était tout autant sur les tasses à thé des boutiques de Piccadilly Circus. Elle était la figure de proue des ventes avec ses bibelots qui bougent la tête ou la main. Des statuettes en plastique Made in China qui étaient les meilleures ventes, avec les torchons et les serviettes, des stands de souvenirs de Camden Road qui mènent au marché du même nom. Reine depuis si longtemps qu’on en avait oublié que le récent Jubilé pouvait être le dernier. Et The Queen est morte. Une dernière fois, sans que cela paraisse, et comme elle est parvenue à le faire régulièrement au pire des moments des années Thatcher, elle s’est peut-être fendue d’un pied de nez aux politicards Conservateurs. Elle n’avait pas le droit à la parole politique, sauf à lire les textes d’intronisation de ses Premiers ministres, mais n’empêche les gestes parfois sont significatifs. Au lendemain de l’annonce de sa mort, un ami ex-Anglais – devenu Irlandais pour échapper au Brexit- affirmait qu’ « elle a survécu à Boris Johnson pour deux jours, parce qu’elle voulait être là pour accepter sa démission. Et maintenant, il a foutu le camp, elle pouvait mourir en paix. » Une oraison funèbre à jamais plus Monty Python que politiquement correcte. Sorry sir mais un Charles Laughton des grands jours en aurait repris une tasse de thé !
Elizabeth II s’en est allée et c’est Charles III qui a pris la couronne, le sceptre et tout le toutim. En plus il a été patient le garçon. Il va enfin sortir de son costard Prince de Galles qui lui sert de couverture, sociale et vestimentaire, depuis les années 60 du siècle dernier. Se préparer pendant tant d’années ce n’est pas facile. Apprendre à gérer certaines espèces d’oiseaux, de poissons, de mammifères aussi, du Royaume Uni, ce n’est pas donné à tout le monde. Pour les humains passe encore mais les cygnes, les esturgeons les baleines et les dauphins – en fonction des zones géographiques- sont totalement intégrés dans le pack héritage qu’il vient de recevoir. En plus, fêter deux fois son anniversaire, le personnel et celui de son investiture royale, ça demande de la concentration maximale. Déjà, pour ne pas être décontenancé, il emmenait ses meubles quand il se rendait chez les copains, le papier toilette aussi d’ailleurs. Les fesses princières étant ce qu’elles étaient, les fesses royales demandent encore plus d’attention, isn’t it (deux fois). Pourvu qu’il ne nous fasse pas une Jean-Claude Ier ( le pape) : trente-trois jours et puis s’en va ; ou que l’Anglois des faubourgs se mette en mode révolution. Ce serait dommage. On aurait tort de vouloir destituer pépère. Si cela coûte, environ, 0,60€ par habitants d’Albion – la perfide- cela rapporte gros et pas qu’un peu. Bien plus que ce que cela peut coûter. Exemple parmi d’autres, si la royauté n’existe plus, il ne servira à rien de se pointer devant les grilles Buckingham pour la relève d’une garde qui n’aurait plus lieu d’être. La sortie hypothétique de la voiture royale – autre importante attraction londonienne et buckinghamesque – demandait des qualités de patience alliées à une bonne vue. Vérifier que le drapeau flotte au vent est capital. Tandis que les gardes, à bonnets à poil ou pas, se voulaient immobiles sous le cagnard, ou sous la pluie et le brouillard so british, on pouvait espérer voir les grilles s’ouvrir. La vie d’un monarque est faite de choix difficiles et une Bentley, ou une Roll Royce, franchissait le portail. C’est celui de droite quand on est en face du palais. On risquait d’apercevoir The Queen. Sur la pointe des pieds on tentait d’entrevoir son chapeau ou une main qui ferait coucou comme celle de la Reine du Comice agricole de Bure-sur-Yvette juchée sur un char décoré de fleurs en papier. Suranné certes mais, dans un monde où l’utopie a pourtant largement cédé face au pragmatisme, le temps s’écoulait comme les grains de sable d’un sablier jamais retourné. Et béats, les spectateurs laissaient Elizabeth s’engager dans The Mall pour aller on ne savait pas trop où. Des provisions chez Mark & Spencer, peut-être…
Seront-ils aussi nombreux à attendre de même pour vérifier si le petit Charles a vraiment les oreilles aussi décollées qu’on le dit ? On ne sait pas vraiment. Une certitude cependant : on s’était bien habitué à Sa Gracieuse Majesté.

Fabrice Simoes